Des métiers racontés par leurs ouvriers.
Le sellier-bourrelier d'Aurillac.
De la bourrelerie à la garniture.
De la même façon que les cochers de fiacre sont devenus chauffeurs de taxi, les maréchaux-ferrants mécaniciens agricoles, les bourreliers ont fait de la garniture automobile. Du moins ceux qui ont pu ou su s'adapter à temps. Partout où le cheval-vapeur a détrôné son ancêtre à crottin, il y a eu des reconversions douloureuses et des disparitions dramatiques.
- Nous avons déjà dit, en début de ce chapitre, comment deux des frères Fouilloux, Raymond et Henri avaient pu alors qu'ils étaient jeunes apprendre la garniture à Toulouse dans les années 1930. Tout en continuant à satisfaire une clientèle paysanne dont les besoins s'amoindrissaient, ils ont travaillé pour une clientèle de plus en plus urbaine. Il est à noter qu'en 1979 cette dualité demeure, entre deux garnitures de sièges de Renault 16, Henri Fouilloux vous refait un siège de tracteur.
- Mais ce ne sont pas les quelques licous et sangles à vêler qu'il vend les jours de foire qui pourraient le faire vivre. Répétons-le, seule la garniture automobile, sièges, panneaux intérieurs lui permet de subsister. D'autres bourreliers ont choisi des voies différentes. Ainsi dans les années 1969-70 j'ai pu m'entretenir, avant qu'il ne disparaisse prématurément, avec le dernier sellier-bourrellier montferrandais, Monsieur Mauroy. Il faisait de la literie, matelas et sommiers par la force des choses, me disait-il.
- Il faut bien vivre en effet. Mais il est évident qu'entre la fabrication d'un collier de cheval et la réfection d'un siège de voiture automobile, il y a tout un monde de différence. La qualification, dans le premier exemple, est infiniment supérieure à celle du second. La participation de l'artisan à la mise en oeuvre des matériaux, son engagement pourrait-on dire, dans l'objet réalisé est beaucoup plus grand dans la confection d'un harnais que dans la simple pose de ressorts à l'intérieur d'un sommier.
- Il ne s'agit nullement, dans notre esprit, d'avilir un métier pour en anoblir un autre. Il s'agit tout simplement de montrer qu'une reconversion économique peut entraîner une dégradation dans l'utilisation des compétences. Le sujet n'est pas épuisé... mais Henri Fouilloux semble serein. Passé la septantaine, on acquiert une certaine philosophie. Un grand béret sur la tête, cassé en son milieu, les lunettes à mi-nez, la veste de satinette noire, sa silhouette est immuable dans son échoppe sombre. Certes, il y a quelques notes de modernisme, les cordes en matière synthétique s'enroulent à côté des cordes en sisal. Malgré cela, tout paraît, dans cette boutique, hors du temps. L'horloge s'est arrêtée avec la mort du dernier cheval dans le bassin d'Aurillac.

1 Machine à coudre. 2 Table de travail. 3 Panoplie à outils et boîte à accessoires. 4 Placards. 5 Tabouret. 6 Chaise. 7 Suspension des objets à vendre au plafond. 8 Harnais. 9 Cordes-ficelles... en devanture. 10 Fouets, lacets de cuir, sangle à vêler. 11 Vitrine.
- Pendant plusieurs années, j'ai vu le même collier pendu aux cimaises de la boutique le dernier fabriqué par Henri Fouilloux. J'ai fui par l'acheter, « Je savais bien qu'il finirait dans un musée ! » me dit-il. Satisfaction ou tristesse ? Je ne saurais vous le dire.

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